Cher jounal,
Parfois, pour arriver à ses fins, il faut déployer des trésors d'ingéniosité, et accumuler des centaines d'heures de travail afin de parvenir à un plan parfait. Parfois. Sinon, la chance suffit.
Me voilà donc Porte-Parole de notre alliance, sans effort et sans débat. Mais je ne suis pas ingrat : j'ai passé deux saisons pour créer un laboratoire commun, près de la Salle du conseil. A noter que Numerius construit son propre laboratoire dans une villa plus loin du centre ville. C'est plutôt une bonne chose : le connaissant, il va passer beaucoup plus de temps en études que nous autres, mages incultes. Au moins, il ne squattera pas le labo commun.
L'automne était venu. J'occupais ma journée en m'entraînant au Rego Herbam en plantent des graines afin que les fleurs forment le message "aux latrines le prévôt". J'avais d'ailleurs du mal avec l'accent circonflexe. J'entendis des rumeurs sur Montbard : les problèmes de gouvernance et d'insécurité de la cité semblaient se résorber. La charte prévoyant l'autonomie de la ville, dirigée par un conseil de notables, était en bonne voie. Ses auteurs, les plus riches marchands de Montbard, attendaient la venue d'un émissaire du Duc pour lui présenter et lui vendre leur projet. Pour fêter cela, une grande foire allait avoir lieu, afin de promouvoir le renouveau de la ville. Sans nul doute cala constituait une excellente opération de propagande pour les prochains maîtres de la ville, mais c'était toujours intéressant d'y participer. De plus Numérius se demandait comment écouler la production de notre potier, afin de doter l'alliance d'une rentrée d'argent régulière et sans risque : Montbard serait un bon endroit si le calme y revenait.
La foire était animée, elle avait attirée nombre de marchands des environs. Nous nous rendîmes vite compte, après avoir discuté avec de nombreux badauds, qu'un riche marchand, Philippe l'orfévrier, avait beaucoup investi dans la foire. Il comptait sûrement se faire élire chef du conseil qui dirigerait la ville une fois la charte signée. Ses fonds paraissaient presque illimités, ce qui était surprenant vue que l'activité de Montbard avait beaucoup souffert des récents troubles. Une autre rumeur m'attira davantage. La foire se terminerait d'ici trois jours par une de ces distractions innocentes dont les hommes ont le secret : une bonne pendaison ! Un apprenti forgeron, que tout le monde trouvait désagréable, avait tué un voleur qui avait tenté de subtiliser sa bourse. La punition m'étonnait un peu, en creusant davantage, j'avais l'impression que tous ceux que j'interrogeais détestaient sans raison ce jeune homme. D'après mon expérience, ce genre de réaction était typique de ce que rencontraient les mages n'ayant pas un Don aussi subtil que le mien. Il fallait interroger cet apprenti nommé Jacques, c'était peut-être un mage en devenir. Même si les chances de trouver un futur confrère étaient faibles, nous devions nous renseigner.
Décidément, nous devions approfondir ce qui se passait à Montbard. Nous devions tout savoir de ce qui se tramait dans une ville si proche de notre alliance.
Une enquête plus approfondie sur Jacques ne donna rien de concret. Sa victime, Michel "le long" était un membre notoire d'une des deux bandes de criminels qui se disputaient les bas-fonds de la cité. Elle n'était pas regrettée, ce qui rendait le verdict de pendaison finalement assez disproportionné. Il arrivait fréquemment que la justice ferme les yeux quand un criminel était accidentellement tué. Interroger les témoins, l'employeur de Jacques et ses rares connaissances ne fit que confirmer ma première impression : il était détesté sans véritable raison, autre qu'il était bizarre ou inquiétant.
Pendant ce temps, mes compagnons se renseignaient sur Philippe, et le suivaient à travers la ville, afin de vérifier s'il ne trempait pas dans des affaires louches, criminelles par exemple. Amaël eut l'impression pendant sa filature qu'il était lui-même épié : un mouvement discret sur les toits de la ville avait attiré son attention. En tout cas, les affaires du marchand allaient bon train, l'émissaire du Duc avait reçu la charte et semblait conquis. Une rapide vérification magique lors de son départ vers la cour ducale me convainquit que son enthousiasme envers la charte était réel et non provoqué par la magie. C'était rassurant. Mais si Philippe était destiné à devenir le futur maître de Montbard, il faudrait décider rapidement de notre position envers lui.
Afin d'en savoir plus, Léandre, notre Sénéchal, décida d'utiliser sa forme féline afin de l'espionner dans sa maison. Il réussis à entrer, et fut témoin d'une visite d'un banquier juif, Salomon, qui s'inquiétait du montant emprunté par Philippe et de ses capacités de remboursement. Le mystère de la richesse de l'orfévrier était résolu : comme tant d'autres, il avait tout simplement emprunté une somme considérable, et ne semblait pas pressé de la rembourser. Philippe était très sûr de lui, son assurance restait quand même suspecte, comme s'il avait un atout dans la manche.
Par acquis de conscience, et ayant déjà croisé un cabaliste juif, nous nous renseignâmes discrètement sur Salomon. C'était un individu très pieux et très apprécié de sa communauté, dont il était l'un des membres les plus éminents. Rien ne permettait d'envisager une activité occulte secrète. Une brève entrevue avec lui ne nous servit pas à grand chose, et nous fûmes vite reconduit à la porte. Cependant, durant nos recherches, Léandre, sous sa forme de chat, avait aperçu une espèce de chat volant, qui nous filait ou qui suivait Salomon ou Philippe. Cela était fort étrange. Léandre finit par découvrir le pot-aux-roses en espionnant Philippe dans sa chambre : deux chats parlants, l'un fait d'or et l'autre d'argent, discutaient avec lui de ses affaires. Il semblait s'agir d'artefacts magiques vivants, ayant passé un accord avec le marchand : sa prospérité contre leur sécurité. Il semblait aussi que leur magie, tout comme la nôtre, soit inefficace contre la Foi : c'est pourquoi ils expliquaient à Philippe qu'ils ne pouvaient l'aider à éviter Salomon. Ebranlé par cette découverte, Léandre repartit discrètement et vint tout nous raconter.
Pour en revenir à Jacques, notre autre problème, nous tentâmes une approche plus directe : une intrusion dans la prison de la ville. La nuit précédant la pendaison, je me fis passer pour un notable de la ville souhaitant interroger une dernière fois le suspect, afin de nous faire ouvrir les portes, avec Amaël comme garde du corps et Léandre comme chat domestique. J'interrogeais Jacques, mais il était difficile de vérifier son potentiel magique dans une zone subissant les effets du Dominion. Je décidai de le faire évader. Bon, cher journal, pour faire bref, j'avoue que cela a légèrement dérapé lorsque j'ai piteusement réussi à m'endormir moi-même avec un de mes sorts. Heureusement, ce brave Amaël s'interposa et pris des coups d'épée à ma place. Je fus réveillé par les griffes de Léandre, et put endormir le garde récalcitrant. Nous nous enfuîmes hors de la ville, en passant par la rivière qui la traversait, profitant de notre excellente vision nocturne pour ne pas attirer l'attention. Tous ces efforts pour fort peu de résultat. Après vérification, Jacques n'était pas un mage, il semblait juste souffrir d'une malédiction peu commune : les gens se comportaient avec lui comme s'il était un mage ! Les inconvénients sans les avantages en quelque sorte. Emu par ses souffrances, moi qui n'ai jamais été rejeté grâce à mon Don subtil, je proposai à Jacques de rejoindre notre alliance en tant que servant. A vrai dire il n'avait guère le choix, et un apprenti forgeron nous serait toujours utile.
Nous retournâmes à Montbard une fois la foire passée, afin de prendre officiellement contact avec Philippe et ses alliés. Nous jouâmes cartes sur table, et Amaël lui annonça, d'un air inquiétant : "Je sais tout !". Nous le rassurâmes bien vite, et je dois dire que notre entrevue fut fort constructive. Les deux créatures magiques se présentèrent à nous : Ailuros, le chat d'argent, femelle, et Maahes Tyreos, le chat d'or, mâle. Agés d'environ mille ans, ils s'étaient récemment échappés d'une alliance de mages nommée Atsigani qui souhaitaient les étudier (euphémisme pour disséquer ou démonter) de près. Ils souhaitaient simplement vivre cachés, en sécurité et dans le meilleur confort, d'où l'alliance avec Philippe. Un accord de bon voisinage fut vite trouvé : nous nous engagions à tenir secret leur existence et à les protéger des recherches d'autres mages, en échange ils nous étaient redevables, et Philippe se chargeait d'écouler nos poteries à bon prix. Une relation gagnante pour tous pourrait s'installer. Nous étions assurés que Philippe serait bienveillant avec nous, puisque nous connaissions son secret.
Bien sûr, il fallait convenir de petits détails, comme la conversion progressive de Montbard au culte de Bastet, la déesse chat. Bon, la synagogue devait être épargnée, mais se débarrasser du clergé catholique serait déjà une excellente nouvelle. Que ne ferait-on pas pour rester bons voisins !