La lâche attaque des mages d'Atsigani à Montbard a été révélatrice des forces et faiblesses de notre alliance. Notre principal atout est bien évidemment notre leader charismatique : moi. Je fus le seul mage à répliquer à cette attaque, en incendiant les chariots de nos ennemis et en enlevant deux enfants, en représailles de l'horrible assassinat de deux de nos grogs, innocents brigands surpris en train, heu, de brigander ! Pendant ce temps, Amaël a brillamment sauvé nos alliés. La plupart de mes confrères ont fait des efforts, mais il faut bien avouer qu'ils ne sont pas au niveau des fées. Leurs sortilèges ne sont pas toujours utiles pour faire face à l'adversité, de plus en plus violente, des séides de Mon cul vert, heu, Montverte. Nos grogs sont peu nombreux, même s'ils sont bien encadrés par Amaël et Manuel, et nous sommes isolés de tout allié potentiel.
Ces faiblesses doivent être réglées le plus vite possible : il nous faut de nouveaux sorts, améliorer nos capacités magiques, et trouver des alliés. Je pensait immédiatement à l'alliance où j'ai grandi, Nidi. Voisine d'Atsigani, elle serait une alliée de choix, et nous pourrions au moins conclure des échanges fructueux avec ses mages. Je convainquis rapidement mes confrères, angoissés par notre situation. Quelle chance ils ont de pouvoir compter sur moi pour les guider. Tandis que Francesco et Amaël restaient à Alise pour gérer notre alliance, et sûrement courir la gueuse, le reste des mages partit pour Nidi, vers le Midi.
Le voyage fut sans encombre, malgré les insomnies de Numerius. Heureusement, je me suis assuré qu'il dorme de temps en temps. Je suis un vrai frère pour mes confrères ! Avant d'arriver, j'expliquai brièvement l'environnement de Nidi : son aura est nichée dans une forêt cernée de toute part par l'insidieux Dominion. Pour la conserver, ses mages eurent l'idée d'installer un baron chez eux, et de faire de la forêt une réserve domaniale, afin de la protéger des moines défricheurs. Quels génies ! J'espère être un jour digne de mes mentors.
Je fus accueilli chaleureusement par les grogs de Nidi, en pleine effervescence : ils préparaient un grand banquet, avec bon nombre d'invités. Mon ancien maître, Regulus, fut très ému de me revoir. Il devint tellement pâle que je crus qu'il allait se trouver mal. Quelle joie de se savoir si aimé. Jérôme, un ambassadeur Jerbiton, se trouvait là pour affaires avec ses hommes. Nous fûmes cordialement invités à rester au banquet. Je discutai un peu avec les bjornaers de Nidi : Micropedus, le chef, et Luna, sa protégée qui semblait un peu perturbée. Leurs animaux de coeur étaient respectivement le coucou et le rat, d'où la gêne de Luna : ce petit rongeur avait mauvaise réputation. Pourtant c'est mignon, un rat. Je racontais à Micropedus notre installation. Son avis m'intéressai particulièrement. Il était un fervent partisan de la cohabitation avec les mondains, ou plutôt du parasitage, comme le coucou. Je lui rappelai que quand j'étais jeune, je pouvais passer des heures à répéter "Coucou, coucou, coucou fait le coucou". Quel bon souvenir. Micropedus soupira, la nostalgie devait aussi l'étreindre.
Je finis par me lasser de ressasser, et décidai de fureter un peu partout, et fus vite attristé de me rendre compte que le baron Henri n'avait toujours pas d'héritier mâle. Je me creusait la tête pour l'aider, quand Jérôme nous proposa de lui rendre un petit service. Nous devions accompagné deux chevaliers, Thomas et Robert à un grand tournoi organisé par Hugues de Lusignan. Sur place, il nous fallait protéger un noble, Gaston, sans doute un pion important pour les petites magouilles de Jérôme. Mais qu'importe ! Nous avons grand besoin d'alliés, et la promesse d'une récompense acheva de nous convaincre, au grand soulagement de Regulus. J'ignore pourquoi il était si heureux de notre décision, alors que cela entraînait une prompte séparation. Sans doute était-il content de nous voir trouver un allié. Il s'entretint avec moi juste avant le départ, et me donna un anneau, s'il chauffait, c'est que cela allait chauffer ! Je devais alors prendre mes jambes à mon cou. Bizarre présent, qui aiguisait plus ma curiosité qu'autre chose, mais je l'acceptai volontiers.
Le trajet nous permis de faire connaissance avec ces deux sympathiques chevaliers, qui nous expliquèrent en quoi consistait un tournoi. Je n'ai pas tout retenu, je l'avoue, mais en gros il y a toute une série de réjouissances sur plusieurs jours pour chauffer les chevaliers : joutes, banquets... avant un grand final, où, répartis entre deux camps, ils se jettent les uns sur les autres pour se battre à grands coups d'épées émoussées. En résumé, un grand cirque ! Franchement, cela me paraissait un peu ridicule, mais nous allions bien voir.
Nous arrivâmes à une véritable ville de tentes, hérissées d'étendards chamarrés. Plusieurs milliers d'hommes, impatients de se cogner les uns les autres étaient déjà là, et d'autres étaient attendus. Heureusement, Thomas et Robert connaissaient l'étiquette requise en un tel lieu : une place nous fut attribué par un officiel, et les deux chevaliers partirent s'inscrire pour la mêlée, qui devait avoir lieu dans une bonne semaine. Ils devaient trouver un protecteur qui les accepte dans son camp. Gaston, que nous devions protéger, n'était pas encore arrivé. Nous pouvions découvrir les intéressantes coutumes de la noblesse française, notamment les banquets, où il fallait à priori beaucoup manger, beaucoup boire, et surtout beaucoup de vanter de ses exploits.
Finalement, ce n'est pas si éloignée d'une réunion de mages. Il y est d'ailleurs aussi question de vassalité, et de moyens d'éviter les guerres internes. Il y a quelques similitudes entre un Tournoi et un Tribunal (enfin, au moins en Normandie). Je ne croyais pas si bien dire, puisque nous découvrîmes rapidement qu'un puissant mage de Mon cul v Montverde était présent, et se promenait à son aise au milieu de tous ces chevaliers. A vrai dire, ce ne fut pas une surprise : Roger de la maison Tremere était le grand spécialiste de la Joute, une des épreuves du Tribunal. Ses prouesses étaient écoeurantes ; aucun adversaire ne pouvait rivaliser avec lui. Il possédait d'ailleurs le sceau d'Ulric, notre Tremere. Bon courage à lui pour le récupérer. Nos échanges furent courtois, bien qu'émane une réelle menace de ses propos : il nous faudrait fléchir ou périr, ou un truc du genre. Franchement, le vocabulaire chevaleresque, particulièrement fleuri, est une merveille à entendre : on se croirait au théâtre ! Je ne savais pas pourquoi, mais j'avais le plus grand mal à le prendre au sérieux. Un mage déguisé en chevalier, c'est presque un confrère pour moi ! Je devrais peut-être sympathiser avec lui...
Gaston finit par arriver le lendemain, et nos ennuis aussi, apparemment. Ulric, qui patrouillait sous forme de corbeau autour du camp à la recherche de ses armoiries, nous avertit. Cependant, tandis qu'il s'installait, nous ne pouvions que remarquer la tension palpable qui semblait régner dans le camp. Les hommes s'emportaient pour un rien, il fallait parfois séparer des duels d'entraînement qui tournait à l'aigre. Notre protégé, un beau chevalier fort porté sur la gente féminine, ne nous aidait guère. Pendant la nuit, Numerius, qui était de garde, dut inverser les sentiments d'un chevalier, excédé par les cris provenant de la tente de Gaston, qui l'empêchait de dormir. Il faut positiver : au moins Gaston avait l'air de satisfaire tous les besoins de ces damoiselles, et cela faisait plaisir de voir Numerius se frotter à la vraie vie. Nous en ferons un véritable mage aventureux ! Bon, nous avions encore de la marge, mais c'est le premier pas qui compte.
Je fus cependant distrait de la surveillance de Gaston. Tandis que je me promenais dans ce labyrinthe de tentes, je surpris plusieurs regards étranges, avec forts froncements de sourcils, de plusieurs chevaliers et serviteurs que je croisais. Ils semblaient vaguement me reconnaître, alors qu'il s'agissait de parfaits inconnus pour moi. Je finis par apercevoir de loin un jeune homme qui me ressemblait beaucoup. Je modifiais légèrement mon apparence par magie, et le suivis. il avait tout l'air d'un noble important, richement habillé et salué par de nombreux chevaliers. Il était un peu jeune pour s'être forgé une réputation, ce devait plutôt être un descendant d'une grande famille. Quelle ne fut pas ma surprise quand je le vis entrer dans le quartier du camp réservé à la famille Lusignan. Plusieurs conversations avec des domestiques me confirma que mes traits étaient semblables à ceux des Lusignan, comme si nous étions de proches parents. Un habile stratagème me permis de mettre la main sur des poils de barbe d'un Lusignan (bon, j'avoue, je me suis déguisé en laquais, et j'ai attendu que l'un d'entre eux se fasse raser de bon matin). Lorsque je touchai ces poils, l'anneau de mon maître se mis à chauffer. Je les lâchait et partis précipitamment. Il me fallait en savoir plus sur cette famille, notamment leurs liens avec la magie ou les fées. Je dénichais un hérault d'armes, qui me conta leur origine légendaire : ils descendraient de la fée Mélusine !
J'étais ébranlé par cette découverte, et je revins à notre campement. Gregorius y attendait tous les mages. Il paraissait fort préoccupé. D'après lui, les incidents s'aggravaient à cause d'une aura démoniaque, perceptible uniquement la nuit. Nous décidâmes d'enquêter sur ce phénomène mystérieux. S'agissait-il d'une malheureuse coïncidence, ou un complot malfaisant était-il à l'oeuvre ? En tout cas, la mêlée pourrait tourner au massacre si nous ne faisions rien. La nuit passa, nous dormîmes mal, souvent réveillés par des heurts et des bagarres qui éclataient non loin. La tension pourrait rapidement dégénérée, et il nous serait difficile de calmer plusieurs milliers d'hommes. La tête pleine de sinistres présages, nous enquêtâmes sur les premières disputes où le sang avait couler. Nous éliminâmes rapidement l'hypothèse d'un complot Tytalus. Il y avait évidemment un mage Tytalus présent dans le camp, de la faction violet (soutenant sa Primus sortant du Crépuscule, ou son prétendant, je ne sais plus : les querelles de ces mages me fatiguent énormément). Il répandait le chaos en envenimant de petites querelles grâce à sa magie. Un Tytalus comme les autres, en fait...Toutefois, il ne s'agissait que d'une fausse piste. Après l'avoir menacé de le dénoncer pour démonisme, il s'enfuit sans demander son reste. S'il ne s'agissait que d'un malencontreux coup du sort, il fallait savoir son origine, ou au moins son emplacement exact.
La seule décision logique était de nous aventurer dans le regio infernal, mais Numerius renâclait à nous accompagner. Cela lui paraissait beaucoup trop risqué. Après un bref débat, il finit par se motiver en inversant lui même ses sentiments par magie. Nous prîmes le maximum de précautions, et nous utilisâmes nos sens surnaturels pour pénétrer dans cette autre dimension, mené par un Numerius des plus enthousiaste. A notre grande consternation, nous constatèrent que l'aura démoniaque se renforçait lorsque nous approchions des collines où se déroulerait la mêlée. L'ambiance était lugubre. Le silence pesant n'était interrompu que par des hurlements surgissant de nulle part. La brève vision de fantômes mourant sous les assauts d'une armée antique nous fit comprendre qu'un horrible massacre avait eu lieu il y a plusieurs siècles. Nous n'osâmes pas aller plus loin et décidâmes de sortir en toute hâte. Enfin, tous sauf Numerius, qu'il fallut traîner dehors, alors qu'il aurait visiblement préférer charger le coeur du regio pour affronter tous les démons...
Quelle malchance ! La préparation d'une bataille, même fictive, semblait réveiller les forces infernales. Il fallait à tout prix annuler ou au moins déplacer la mêlée. Mes compagnons étaient dans l'incapacité de sortir un plan cohérent, sauf faire croire que la peste se propageait : quelques sortilèges pour faire apparaître de faux symptômes et le tour serait joué. Je frémis d'horreur devant ce plan : qu'il était laid et sans panache ! En plus, la panique pourrait dégénérer à cause de l'aura démoniaque. Heureusement, j'avais bien sûr un excellent plan pour nous sauver la mise : apparaître devant le seigneur Hugues de Lusignan en me faisant passer pour l'esprit d'un de ses ancêtres, et le convaincre de déménager tout ce cirque fissa !
Ce plan admirable fut rondement mené. Une téléportation, un peu de mise en scène magique, mon talent immense d'acteur, et c'était emballé. Bon, je me suis un peu pris les pieds dans le tapis lors de mon sermon, mais mes propos avaient frappé le bonhomme. Un peu trop d'ailleurs, puisqu'il décida de tout annuler, au grand scandale des chevaliers présents, avant de se retirer en terre sainte. Mais l'important était d'éviter tout incident, ce qui nous faisait remplir du même coup notre mission de protection.
Quel talent ! Notre retour à Nidi fut triomphal. Nous pûmes copier leur bibliothèque tout notre saoul durant le reste de l'automne. Surtout, je profitais de ce séjour prolongé auprès de mes anciens maîtres pour tenter de confirmer mon ascendance féérique. C'était sûrement une de mes seules chances d'obtenir la vérité. Je risquais gros, Regulus pouvait facilement se réfugier dans un mutisme définitif. Pour ne pas braquer mon mentor, je devais donc faire preuve d'une subtilité absolue...
Ou pas. A force de répéter sans arrêt "Dis, Mélusine c'est ma mère ?" devant Régulus, ce dernier finis par craquer. Excédé, il acquiesça. Hum, difficile de savoir si je devais me féliciter ou être horrifié par cette nouvelle. Bah, au moins "Ferion, chevalier fée, Fils de Mélusine" ça en jette grave !
_________________
In blackest day or brightest night, watermelon, cantaloupe, yadda-e-yadda,erm..., superstitious and cowardly lot, with liberty and justice for all !
Ven 6 Mar - 18:13
