été 1220 - Dissidents & Dragons (& Batracien)

Comme convenu l'année précédente, nous dépêchons une ambassade à Florum.

Notre frêle alliance de printemps paraît en effet avoir besoin d'un protecteur, c'est-à-dire d'un suzerain. Plusieurs vassaux de Montverte nous menacent. Si Confluensis voire Lapis Crudus paraissent les choix les plus évidents, prêter allégeance à une autre alliance souveraine pourrait s'avérer opportun, si celle-ci se montrait fort modérée dans ses exigences envers un nouveau vassal. Toutefois, Oléron n'a que faire d'une alliance aussi faible que la nôtre. Nous ne souhaitons pas, de notre côté, nous mêler des querelles intestines de la maison Tytalus. Pour prêter serment à Montverte, il faudrait d'abord éliminer Atsingani lors d'une guerre des mages - pour la remplacer auprès de son puisant suzerain. Même Grégorius, notre Flambeau, ne penche pas pour cette stratégie. Les alliances suzeraines du Tribunal de Normandie ne sont pas si nombreuses. Il en reste finalement une : Florum, dont nous ignorons presque tout.

Francesco se montre plutôt favorable à cette alliance, qui compte dans ses rangs un influent membre de sa maison, Calvinus de Jerbiton. J'ai moi-même sympathisé avec Eric de Guernicus, un autre sodalis de cette alliance, à la foire de Provins : un mage hermétique tout à fait posé et rationnel.

Florum mérite donc une visite. D'autant que, d'après ce que j'ai pu apprendre, ses environs marécageux sont propices à une rencontre avec un crapaud. Mes projets reposent en grande partie sur un lien avec un digne familier batracien. Je dois d'ailleurs remercier Léandre pour les informations qu'il a pu me fournir sur les moeurs de l'animal, certains détails m'ont même étonné par leur précision.
Somme toute, de nombreuses raisons justifient ce voyage, tant politiques qu'hermétiques. Je prépare mon esprit à la rencontre avec l'animal qui m'est destiné... tout en commençant à évaluer les avantages et les désavantages de Florum comme suzerain.
Pour :
Serait opposée à Montverte.
A priori composée de mages rationnels et pacifiques.
Contre :
Francesco est pour.



Nous devons nous rendre dans la ville de Gand, au nord, dans un pays appelé Flandres. L'alliance de Florum est située à l'intérieur de la cité - comme Eboris à Paris - et non loin de son ancien site, le Palais de l'Araignée. Devenue alliance vassale, ce palais accueillera d'ailleurs le prochain tribunal, dans un an.

Le voyage se déroule sans encombre, jusqu'aux remparts de la cité. Première difficulté notable, se frayer un chemin dans les ruelles encombrées de Gand. Je pense m'habituer petit à petit à ces fourmilières géantes et puantes que les mondains nomment villes, mais l'industrieuse Gand me laisse pantois. Les citadins grouillent, se bousculent et vocifèrent. Aucun ne semble parler latin. Leur patois guttural sonne désagréablement à mes oreilles. Nous devons nous renseigner auprès de prêtres catholiques pour trouver la "Ferme" de Florum. Le penchant de ces sectateurs sanguinaires pour l'érudition les rachète en partie.



Au lieu d'un bâtiment bien cloisonné, comme Eboris, ou d'une arche d'albâtre menant à un accueillant regio souterrain, comme ma chère Albaforis, Florum s'étale sur tout un quartier de la cité. Une série d'imposants édifices, destinés à d'obscures activités mondaines comme le tissage ou la teinture, entourent une esplanade apparemment cultivée. D'après mes compagnons, il s'agirait bien d'un ancien corps de ferme - quoi que cela puisse bien signifier - qui aurait débordé, comme un fleuve en cru. Partout, la confusion règne.



Comment vivre dans un tel endroit, ouvert aux quatre vents, exposé au regard de tous ces mondains ?  L'enthousiasme soudain de Férion puis de Léandre pour cette place démente achève d'attiser ma méfiance.

Pour :
Serait opposée à Montverte.
A priori composée de mages rationnels et pacifiques.
Contre :
Francesco est pour.
Férion et Léandre sont enthousiastes.
L'emplacement de l'alliance témoigne d'un goût douteux pour la puanteur et le bruit.

Nous annonçons avoir rendez-vous avec l'un des prête-noms de Florum, comme convenu l'année dernière avec Eric de Guernicus. Nous devons patienter dans une antichambre avant d'être accueillis par le dirigeant de Florum, un colosse sûr de lui, Rhesus de Verditus. J'avoue avoir complètement oublié les règles les plus élémentaires de la courtoisie : nous étions censés apporter un cadeau. Mais Férion fait preuve d'une extravagante générosité, en offrant à Florum 4 pions de vis Herbam, don de ses alliés féériques.

Rhesus nous souhaite la bienvenue et nous fait conduire à nos quartiers. Nous sommes autorisé à visiter l'alliance. L'aura présente paraît d'origine féérique. Peut-être à cause du champ de lin autour duquel sont érigés les bâtiments, qui pourrait être une ancienne terre païenne ?  Ou y a-t-il d'autres explications ?



Rien, dans cette alliance, ne paraît être à sa place. Les servants vaquent à d'innombrables et étranges occupations, sans faire grand cas des sodales. Le fracas continuel me désoriente. Où finit l'alliance et où commence la fourmilière des mondains ?

En cherchant la bibliothèque, je me retrouve dehors. Je constate que la sécurité des invités n'est absolument pas garantie. Les injectives et récriminations habituelles de mon fantôme n'aident guère. Léandre doit venir me chercher, en pleine nuit, pour me raccompagner à Florum.

Pour :
Serait opposée à Montverte.
A priori composée de mages rationnels et pacifiques.
Contre :
Francesco est pour.
Férion et Léandre sont enthousiastes.
L'emplacement de l'alliance témoigne d'un goût douteux pour la puanteur et le bruit.
Expose sans vergogne ses invités au danger.

Je constate à mon retour que les discussions vont bon train. Rhesus et Calvinus de Jerbiton ont fait parler Férion et Grégorius, qui ont longuement exposé nos faiblesses, gémi et supplié nos hôtes. Je ne suis pas sûr qu'une telle attitude soit très habile lors d'une négociation. Néanmoins, nous comprenons que les intérêts et les convictions de Florum s'avèrent en vérité très éloignés de ceux de Montverte. Léandre finit par demander à nos hôtes quels sont leurs objectifs.

Aussitôt, les deux compères vont chercher une carte. Leur projet n'a rien de mystérieux, même s'il paraît démesuré : ressusciter l'antique Tribunal de Lotharingie, qui regrouperait l'est du Tribunal de Normandie et du Tribunal provençal, ainsi que l'Ouest du Tribunal du Rhin. Ce nouveau Tribunal n'aurait pas les mêmes règles barbares que le Tribunal de Normandie - qui répartit les maigres ressources des alliances selon les résultats d'invraisemblables tournois.



Même Grégorius paraît tenté, maintenant. Il faut admettre que nos préparatifs pour le prochain Tribunal ne nous incitent guère à l'optimisme : nous risquons de perdre deux de nos trois sources de vis. Et puis, ce nouveau Tribunal limiterait l'influence des Tytalus, qui avaient incité les Flambeaux à quitter la Normandie lors d'un ancien conflit. En fait, Eric de Guernicus aurait rejoint Florum pour préparer l'installation de ce nouveau Tribunal.
Tout cela me paraît tout de même trop beau pour être vrai.
Un membre au moins de Florum partage ma réticence : Alroy de Flambeau, le champion de l'alliance. Ce vétéran du Levant, tanné par le soleil, ancien croisé sans doute - encore un sectateur sanguinaire, décidément, ils sont partout - accepte volontiers les règles violentes du Tribunal de Normandie.

Rhesus et Calvinus prétendent que nous ne sommes pas obligés d'accepter leur offre. Ils se défendent de ressembler à Montverte : ils acceptent la contradiction. Si leur courtoisie ne fait pas de doute, je m'interroge néanmoins sur leurs intentions. En tout cas, ils semblent prêts à quelques efforts pour nous convaincre. Leurs servants de Florum nous préparent de nouveaux vêtements. Attention charmante - à moins que notre accoutrement ne jure avec l'opulence des lieux ?

Notre séjour se prolonge. Je me demande pourquoi l'ancien Tribunal de Lotharingie avait disparu. J'ai étudié la théorie de la magie, le latin, un peu de droit hermétique, mais j'avoue que l'histoire de l'Ordre d'hermès n'est pas ma spécialité. Je vais peut-être devoir y remédier.

Dans les jours qui suivent, nous faisons connaissance avec Prunellie de Merinita, autre membre de l'alliance. Elle aussi partisane du Tribunal de Lotharingie, elle nous explique l'origine de l'Aura féérique : dans les Flandres, les fées coexistent aussi bien avec les mondains qu'avec le christianisme. Les cloches des églises auraient été forgées par le petit peuple. D'où l'entremêlement ou la superposition d'auras différentes.
Grégorius comme moi-même sommes fascinés par ses recherches. Voilà au moins un membre de Florum dont je comprends les agissements.

Rhesus a remarqué mes réticences... comme le fantôme qui m'accable. Il tente d'utiliser l'un pour circonvenir les autres. Il me fait grâce, au moyen d'un cercle magique, de quelques minutes de paix loin des hurlements stridents de Tibéria. Rhesus m'apprend que certains de ses vassaux seraient passés maîtres dans l'art d'apporter le repos aux âmes tourmentées. Je n'ose leur demander de me débarrasser de Tibéria. Mais peut-être pourraient-ils l'apaiser ?   voire même, révéler des souvenirs enfouis ?

Perdu dans mes réflexions, je me rappelle mon principal objectif : lier un familier, qui pourrait me délivrer des contraintes extérieures qui pèsent sur ma propre mémoire. A ce moment, Grégorius réunit les membres de notre ambassade : Alroy lui a proposé une chasse au dragon dans les marécages.



Quelle idée farfelue !  Néanmoins, les lieux doivent pulluler de crapauds, grenouilles et aimables batraciens.

Pour :
Serait opposée à Montverte. Milite pour une répartition des ressources moins barbare au sein du Tribunal.
A priori composée de mages rationnels et pacifiques courtois.
Riche et hospitalière.
Prête à nous reconnaître comme vassaux en échange d'un simple appui politique - et d'une chasse au dragon ?
Sujet d'études stimulant : interactions entre les Auras magiques des différents Royaumes.
Pourrait m'aider à me libérer de mon fantôme.
Contre :
Francesco est pour.
Férion et Léandre sont enthousiastes.
L'emplacement de l'alliance témoigne d'un goût douteux pour la puanteur et le bruit.
Expose sans vergogne ses invités au danger... notamment aux dragons.
Projet extravagant : recréer le Tribunal de Lotharingie.

Me voilà avec beaucoup de choses à faire, en bien peu de temps. Evaluer Florum. Etudier l'histoire du Tribunal de Lotharingie et la faisabilité de sa recréation. Lier un familier. Tuer un dragon. Lourd programme, et bien éloigné de mes recherches hermétiques. Enfin, il faut parfois intriguer pour réussir, ma maison le sait bien.

Intriguer est le mot juste, car cette chasse au dragon s'est vite changée en une extravagante duperie.

Un dragon menace donc la cité de Bruges. Proche de Gand, cette ville protégée par des remparts et traversées par de nombreux canaux est devenue au fil du temps un port commercial d'importance - notamment pour l'alliance de Florum. En fait, Bruges avait bénéficié d'un petit miracle. En l'an de grâce 1134, un raz-de-marée avait ouvert un chenal jusqu’à la baie du Zwin, de sorte que la ville dispose désormais d'un accès direct à la mer du Nord. Les habitants ont construit une digue transversale à l'extrémité de ce chenal pour participer ainsi au commerce international qui relie divers royaumes mondains : l'Angleterre, productrice de laine, la Suède, exportatrice de hareng en caque, la Gascogne, productrice de vin, et les producteurs de textiles de Flandre.



Un autre membre de Florum accepte de nous servir de guide : Isabella de Mercere, une jeune Toque Rouge dont la connaissance des moeurs mondaines ne va pas cesser de m'étonner. Juste avant notre départ pour Bruges, le destin nous donne un coup de pouce supplémentaire - ou un coup de poing ?  Nous sommes rejoints par Francesco. Notre trouvère prétend que nous l'avons oublié. Je crois plutôt qu'il était trop occupé à trousser des gueuses ou fuir leurs maris jaloux pour se rappeler de la date de notre voyage...

La route de Gand à Bruges s'est révélée des plus sûres. Une fois arrivés, nous découvrons - non sans un certain soulagement - que la ville n'est pas en proie aux flammes. Par contre, deux pêcheurs danois sèment le trouble. Ils demandent aux boutiquiers et aux marchands de payer leur dû au dragon, sans quoi celui-ci reprendra ce qu'il avait donné à Bruges. Il semble que le raz-de-marée qui a tant profité à la cité soit l'oeuvre de ce léviathan. D'après Isabella, leur menace doit être prise au sérieux. A l'époque, des quaesitors de la maison Guernicus avait enquêté sur le phénomène, suspectant l'intervention de mages - les prédécesseurs des membres actuels de Florum ?  

Je laisse mes compagnons poursuivre leurs investigations, pour me concentrer sur ce qui m'a fait venir ici. J'ai rendez-vous avec mon familier. Je persuade Grégorius et Léandre de m'escorter dans la campagne de Bruges. Mes calculs sont exacts, comme toujours : nous sommes en pleine période de reproduction des crapauds. Quand la nuit tombe, les plaines humides résonnent de leurs coassements stridents.



Il apparaît cependant que, si mon destin est de rencontrer un crapaud, il n'est pas assez cruel pour me faire crapahuter en plein marais. Léandre, après avoir interrogé les hérons des environs, m'apprend que les échassiers ne craignent aucun crapaud, magique ou non - mais évitent de s'attaquer aux batraciens peuplant les canaux de Bruges.

Nous rebroussons chemin. Une fois de retour en ville, Grégorius me quitte : les autres membres de notre petite compagnie ont retrouvé les séides du dragon dans une geôle. Ces pêcheurs auraient rencontré le monstre pendant une tempête, au large de Bruges. Le dragon se sert d'eux pour réclamer la contrepartie de son inondation fabuleuse. Qu'exige-t-il exactement ?  Férion, Isabella et Grégorius embarquent avec l'un des pêcheurs sur leur frêle esquif, pour négocier avec la bête, ou l'occire, peut-être. Je les trouve fort courageux, j'ai de mon côté bien trop à faire avec un petit crapaud.



Les batraciens sortent surtout la nuit. Les indications avisées de Léandre et mes propres travaux sur la question me permettent de localiser l'endroit le plus favorable pour rencontrer le crapaud qui m'est destiné : le plus grand canal de la ville, où se reflète une lune gibbeuse, bientôt pleine. J'élabore un plan : un sort changeant la couleur de tous les crapaud du canal me permettra d'identifier les crapauds magiques - les seuls à résister à cette magie bénigne.

Je prépare avec soin et minutie mon sortilège pour la nuit suivante. La lune sera pleine, l'instant propice. Mes compagnons tentent d'interrompre mes préparatifs : ils évoquent une tortue gigantesque, grosse comme une île, sortie d'un Regio aquatique. Attirée par une simple pièce de cuivre, elle réclame des tombereaux d'or, une quantité de richesses à peine imaginable... Je ne leur prête guère d'attention.



Enfin, l'heure est arrivée : je vais rencontrer mon futur familier. Je distingue facilement celui-ci, majestueux et sûr de lui, une fois tous les autres batraciens affublés d'une teinte argentée. Je trébuche, effraie l'animal, l'attrape tant bien que mal, m'effondre dans la boue... et je le sens glisser entre mes doigts. Heureusement, je ne suis pas seul. Léandre, sous sa forme féline, ensorcelle les joncs du canal et capture mon crapaud dans une cage improvisée. Je dois bien l'admettre, j'ai une dette envers lui.



Je commence à apprivoiser mon crapaud.
Je pense l'appeler Ruben.

Mais Grégorius et Férion insistent, non sans grossièreté : ils ont besoin de mon aide... pour duper le dragon. Son prix est bien trop élevé pour la ville toute entière, même si nous arrivions à convaincre les autorités de Bruges. Toutefois, il est possible de l'endormir. Férion comme Francesco sont passés maître dans l'art de pousser les importuns dans les bras de Morphée. Pour que leur magie atteigne la bête, il faut d'abord miner l'extraordinaire résistance du monstre. Plusieurs voies s'offrent à nous. Les pêcheurs, ses séides, portent chacun une de ses écailles en pendentif : il faut utiliser l'une des deux pour établir un lien avec le dragon. Cela ne suffit pas. Pour que le monstre devienne vulnérable, il faut littéralement ensevelir sa méfiance sous une montagne d'or ou de pierres précieuses.

Ma participation s'avère indispensable. Mon glorieux ancêtre, Bolos de Mendès, prodigieux guérisseur, avait notamment étudié la transformation des matières viles dans l'un des quatre objets de l'alchimie antique : l'or, l'argent, le pourpre ou les pierres précieuses. J'ai hérité d'une partie de ses talents. De tous les mages présents, je suis le seul à pouvoir transmuter les richesses nécessaires - même si elles ne seront qu'éphémères.
Après des heures et des heures de calculs et d'expérimentations, nous convenons d'un protocole. Grégorius creuse une fosse dans la plage, à marée basse. Nous y installons une barque, que nous recouvrons de gravillons. Je change la pierre contenue dans la tranchée en topazes... jusqu'au prochain coucher du soleil. A la marée montante, l'eau s'introduit dans la fosse, et la poussée d'Archimède soulève le bateau.



Ma participation s'arrête là, je n'ai ni le pied marin ni le coeur ardent. Je laisse les autres naviguer jusqu'au dragon et le plonger dans un profond sommeil. Qu'il s'enfonce dans la mer et ne se réveille pas de sitôt.

Notre chasse au dragon se termine, une fois n'est pas coutume, sur une éclatante victoire. Le fantôme qui me suit ne me félicite pas pour autant. Il me reste encore du travail, à vrai dire : me lier avec Ruben, estimer les avantages de l'allégeance à Florum et la faisabilité de ses projets politiques... Le reste de l'été sera studieux.


Numérius de Bosinagus.

Sujet nettoyé et achevé.

La deuxième partie est sans doute moins amusante que la première, mais bon, il y avait davantage d'action.